Vers la résilience alimentaire : réflexions de Nadège Noisette
24/04/2020

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Vers la résilience alimentaire


Les questions d’alimentation sont particulièrement au cœur des préoccupations humaines en ce moment. D’abord parce que le coronavirus proviendrait de la consommation d’animaux. Ensuite parce que la perte de biodiversité et la destruction des habitats naturels notamment liée à l’agriculture intensive offre des conditions favorables aux échanges de virus entre animaux et humains. Enfin alors que nous sommes privé-e-s de liberté, manger devient à la fois un acte de plaisir et de survie. Cette crise réinterroge donc nos modes de productions et de consommations alimentaires. A travers ces quelques lignes, j’avais envie de faire un modeste portrait des évolutions des systèmes alimentaires qui frémissent et esquisser peut-être quelques pistes pour la suite. Un grand merci à Marine Cuminet Illustration pour sa contribution graphique !

Dès le début du confinement, beaucoup se sont rué-e-s dans les grandes surfaces afin d’acheter des produits de base en grande quantité par peur de manquer. Puis se mettant à cuisiner, et particulièrement inquiet-e-s pour leur santé, certain-e-s se sont tourné-e-s vers les produits frais, bruts, sains et locaux. La preuve en est que la consommation de bio a augmenté fortement tout comme les commandes des AMAP. De nouvelles formes de circuits courts se sont rapidement mises en place à l’initiative des productrices /producteurs souvent privé-e-s de débouchés via les marchés de plein vent ou bien à travers des initiatives citoyennes. Cette crise permet de créer de nouveaux liens solidaires entre différent-e-s actrices/acteurs que ce soit pour favoriser la vente de produits locaux, pour lutter contre le gaspillage alimentaire ou pour offrir une aide alimentaire aux plus démuni-e-s.


Ainsi par exemple :
• Les supermarchés s’approvisionnent plus facilement auprès de productrices et producteurs locaux
• Les plateformes qui offrent des possibilités de commander en ligne mettent en avant des produits bio et issus d’une agriculture paysanne durable
• La cuisine centrale de la ville de Rennes a distribué les denrées prévues en vain pour les cantines via des circuits courts ou le don et fabrique actuellement des repas pour les personnes dans le besoin.
• Des taxis ou des coursiers en vélo font des livraisons de paniers à domicile
• Des systèmes alternatifs de distribution, souvent solidaires se sont inventés rapidement comme des achats groupés d’habitant-e-s


Cette crise met en avant la grande souplesse des circuits cours qui reposent sur des agricultrices et agriculteurs courageu-se-x devant assurer à la fois leur production en explosion et la logistique. Elle montre aussi les limites de la grande distribution. Si cette dernière se montre indispensable pour les achats de base (farine, pates, riz …) elle est fortement contrainte par sa dépendance à l’ensemble de la chaine logistique. La filière laitière en est un bel exemple : de nombreuses laiteries ont appelé les éleveuses / éleveurs à réduire leur production, en plein pic printanier alors que des produits laitiers de grande consommation font régulièrement défaut dans les rayons. Et les produits transformés, surproduits, qui autrefois faisaient le gros du chiffre d’affaire de la grande distribution se retrouvent pour beaucoup dans les circuits de don alimentaire interrogeant au passage sur la qualité des produits donnés aux plus démuni-e-s. Enfin notre sécurité en approvisionnement alimentaire ne pourra être que plus robuste si les systèmes alimentaires sont relocalisés et diversifiés afin de ne pas reposer sur le seul monopole de quelques grands groupes agro-alimentaires.


La pénurie de travailleuses / travailleurs étranger-e-s, les interruptions des importations et exportations, la fermeture des marchés de plein vent, le report des consommatrices / consommateurs sur les produits d’épicerie de base… sont autant de facteurs qui témoignent que les circuits courts et les produits de qualité seront surement les grands vainqueurs de cette crise ! Comme le disait Le Président, Emmanuel Macron, lui même : «Ce que révèle, d’ores et déjà, cette pandémie, c’est qu’il y a des biens et des services qui doivent être placés en dehors du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond est une folie» [...] «nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous le faisons une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai». Et bien oui, assumons ! Suite à la crise il faudra donc renforcer ces circuits-courts et relocaliser notre alimentation afin d’assurer la fourniture d’aliments durables en cas de nouvelles crises sanitaires, climatiques, sociales...


Cela peut se faire déjà à l’échelle des territoires comme Rennes métropole en stoppant l’artificialisation des terres. Un plan alimentaire territorial et solidaire devrait alors être pensé afin de généraliser une agriculture bio et paysanne, d’en finir avec les pesticides au plus tard dans 10 ans, de produire localement l’alimentation animale, de garantir à tous les habitant-e-s, quelque soit leur revenu, une alimentation saine, locale et peu carnée. Pour assurer la viabilité des circuits-courts actuels, les aides économiques des collectivités pourraient aussi pérenniser les nécessaires emplois dans la logistique, et les outils de transformation de taille moyenne (abattoir, conserveries, laiterie….). Enfin alors que la crise remet en avant le pseudo intérêt de l’emballage plastique jetable il faudra mener des campagnes de sensibilisation à tous les niveaux pour limiter cet usage.


Ces modifications nécessitent aussi un changement de braquet des politiques publiques nationales et européennes. Permettre par exemple le localisme dans les marchés publiques renforcerait encore les circuits-cours, réserver les aides de la future PAC uniquement vers les systèmes indépendants des intrants chimiques …. seraient des pistes à explorer.


Retrouver une alimentation sans pesticide produite localement et accessible à toutes et tous est une des réponses au renouvellement de la biodiversité et par ricochet aux crises sanitaires et climatiques.

Nadège Noisette